Quand les femmes vont au combat
Les fouilles menées sur le site de Devitsa, dans le sud-ouest de la Russie actuelle, ont révélé, en décembre 2019, une nécropole où avaient été été inhumées, au IVe siècle av. J.-C., quatre femmes appartenant à trois générations différentes: une adolescente de 12 ou 13 ans, deux jeunes femmes d’une vingtaine d’années et une dernière âgée d’environ 45 ou 50 ans. Elles appartenaient au peuple des Scythes, population en grande partie nomade des steppes d’Eurasie centrale
Dans leurs sépultures, les archéologues ont mis au jour des bijoux et un miroir en bronze, mais aussi des pointes de flèches en fer, des lances et des restes de harnais de chevaux. La femme la plus âgée était armée d’un poignard en fer et coiffée d’une tiare en ou décorée de motifs végétaux, symbole de son statut exceptionnel au sein de la société faux. L’une des deux jeunes femmes avait été enseignée dans une position pour le moins étrange: les jambes écartées et arquées comme si elle montait symboliquement à cheval pour l’éternité.
Confrontés à ces combattants, notamment lors de la colonisation des rivages de la mer Noire, les anciens Grecs les transformèrent en figures de légende, inventant les mythiques Amazones sur les projets qu’ils ont projetés leurs craintes et leurs fantasmes. N’étaient-elles pas radicalement différentes de leurs épouses si la gestion reléguée à leurs tâches domestiques?
Squelette de jeune femme faux en position de cavalière, découverte à Devitsa, en Russie, en décembre 2019, par Valerii Guliaev.
La jeune guerrière professionnelle de Bover en Arménie
Mais les guerrières scythes ne sont pas les plus anciennes connues. Une autre jeune combattante de 20 ans a été retrouvée dans une sépulture à Bover, en Arménie, par l’équipe de l’archéologue Anahita Khudaverdyan en 2017. Elle remonte à l’époque du royaume d’Urartu, entre le IXe et le début du VIe siècle av. J.-C. L’étude très précise de ses ossements a permis de reconstitution en partie à vie agitée et à mort violente. Une pointe de flèche s’est produite fichée dans l’un de ses fémurs, tandis que son bassin et un tibia ont révélé une série de lésions traumatiques causées par diverses lames métalliques: des épées ou des haches. Anahita Khudaverdyan en déduit que la jeune femme était une véritable «guerrière professionnelle» qui participe aux combats acharnés contre les ennemis du royaume, jusqu’à sa mort prématurée.
Le guerrier viking de Birka était une femme
En 1878, les archéologues travaillant sur le site de Birka, en Suède, étaient persuadés d’avoir découvert la tombe d’un guerrier viking «modèle». C’était du moins ce que leur laissait penser l’attirail exhumé avec le squelette: une épée, une hache, une lance, des flèches, les restes de deux boucliers, des étriers, des mors et les mêmes deux chevaux spécialement sacrifiés pour le défunt dans la mort.
Cette révélation fait toujours l’objet d’âpres discussions entre spécialistes. On peut objecter que les armes découvertes dans la sépulture n’appartenaient pas forcément à la défunte, mais peuvent-être à son mari. De plus, si l’identité biologique de la femme de Birka semble désormais confirmée, on ne sait pas pour autant comment la féminité était perçue par les Vikings. De nombreuses questions restent donc en suspens. Et force est de constater combien les découvertes archéologiques cadrent parfois étonnamment avec les préoccupations de l’époque où elles ont lieu. La squelette de Birka aura ainsi permis de conforter une idée préconisée du guerrier viking idéal à la fin du XIXe siècle, avant de servir de catalyseur à nos débats actuels sur le genre
Reines nubiennes tueuses d’ennemis
Parmi les plus puissantes femmes de l’Antiquité, sur compte les candaces, ces reines qui ont régné, il y a deux mille ans en Nubie, sur le royaume de Koush, au nord du Soudan actuel. Les auteurs antiques les nomment candaces, un titre qui provient d’un terme nubien désignant une reine
Une des grandes originalités de ces souveraines, qui se succédait parfois de mères en filles, était de commandant leur armée et de diriger les expéditions militaires. L’écrivain antique Strabon présente la candace qui régna à la fin du Ier siècle av. J.-C. comme une redoutable cheffe militaire «féroce et borgne» depuis qu’elle avait perdu un œil au combat (Strabon, Géographie XVII, 54).
Les découvertes réalisées au nord du Soudan par surgissent accréditer ces propos.
Sur la façade d’un temple, dans la ville de Naqa, la candace Amanitore, qui régna au début du Ier siècle apr. J.-C., est figurée comme une géante en train de décapiter en même temps plusieurs ennemis qu’elle tient par les cheveux! Par ce bas-relief monumental, fils mais était d’impressionner le peuple, mais aussi ses potentiels ennemis. Amanitore affiche, par la même occasion, sa formidable corpulence, ses larges épaules et ses hanches puissantes. Ne s’agit-il que de pure propagande? On peut imaginer que des cérémonies de mises à mort de prisonniers auraient effectivement lieu à Naqa ou ailleurs. La candace jouant alors publiquement son rôle officiel de tueuse des ennemis du royaume.
La candace Amanitore figurée en train de massacrer ses ennemis, façade du temple de Naqa, Soudan. Wikipédia
Combattantes d’aujourd’hui
Dans notre monde actuel, des combattants sont présents dans beaucoup d’armées. On pense notamment aux guerrières kurdes aux prises avec l’État islamique dans le nord de l’Irak ou en Syrie, comme Viyan Antar, tuée au combat à Manbij en 2016, à l’âge de 19 ans. La jeune femme avait été comparée, dans la presse internationale, au personnage de Lara Croft, incarnée au cinéma par Angelina Jolie. Une comparaison qui avait eu pour effet de jeter un pont entre la réalité et la fiction
Viyan Antar appelée également Asia Ramazan Antar, combattante kurde, en novembre 2015. Wikipedia
Au cinéma, les combattantes kurdes ont été mises à l’honneur par Caroline Fourest dans son film, Sœurs d’armes, en 2019. La figure de la guerrière nordique, ou skjaldmö en vieux norrois, est présente dans la série télévisée Vikings (de Michael Hirst, 2013-) disponible sur Netflix depuis février 2020. L’actrice Katheryn Winnick y incarne une énergique combattante qui ressemble peut-être à l’ancienne guerrière retrouvée à Birka.
L’année 2020 verra aussi, avec quelques mois de retard en raison de la crise du coronavirus, la sortie dans les salles d’un deuxième volet de Wonder Woman, héroïne inspirée des Amazones (Wonder Woman 1984 de Petty Jenkins). Sans oublier le film consacré à Mulan, la légendaire combattante chinoise (Mulan de Niki Caro, 2020).
Autant de preuves, s’il en faut, que la femme guerrière, dans la réalité historique comme dans la fiction, est un thème qui fascine très largement notre époque.